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– Daisy Recchia, Caroline Méjean, Marlène Perignon, Pascaline Rollet, Inrae, UMR MoISA, Montpellier, France
– Nicolas Bricas, Cirad, UMR MoISA, Montpellier, France
– Simon Vonthron, Coline Perrin, Inrae, UMR Innovation, Montpellier, France
– Géraldine Chaboud, Chaire Unesco Alimentations du monde, Montpellier, France
– Plus de 75 % des ménages ont un accès physique aux différents types de commerces alimentaires dans leur espace de vie quotidienne, incluant l’espace autour du domicile, de leurs principaux lieux d’activités et des trajets entre ces lieux. En revanche, seuls 65 % des ménages ont accès à un marché.
– La proximité n’est pas le seul facteur qui influence la fréquentation
des commerces alimentaires. En effet, les ménages ne fréquentent pas tous les commerces dont ils disposent à proximité, principalement à cause des prix, des produits proposés et des horaires.
– Les grandes surfaces sont le lieu d’achat alimentaire dominant mais il est loin d’être exclusif. Près de la moitié des ménages réalisent au moins 30 % de leurs dépenses alimentaires dans d’autres types de commerces.
Changer les comportements alimentaires pour tendre vers une alimentation plus saine, qui soit moins dommageable pour l’environnement et accessible à tous, est aujourd’hui un enjeu sociétal majeur. Ces dernières années, il a été question d’informer, de sensibiliser et d’éduquer les individus pour les aider à adopter de meilleurs choix alimentaires pour leur santé et pour l’environnement. Cependant, les comportements alimentaires ne sont pas déterminés par les seules caractéristiques socio-économiques, les connaissances et les intentions des individus. Ils sont aussi conditionnés par leur paysage alimentaire (Vonthron et al., 2020). Celui-ci est défini ici comme l’ensemble des commerces, marchés et autres points de vente alimentaires à proximité du domicile et, plus généralement, dans les espaces de vie quotidienne, incluant les espaces autour du domicile, autour des principaux lieux d’activités professionnelles et non professionnelles, et les trajets empruntés entre ces différents lieux.
La littérature internationale marque un intérêt croissant pour les relations entre les paysages alimentaires, les comportements alimentaires et la santé (Sacks et al., 2019). En France, peu d’études ont été menées sur les liens entre le paysage alimentaire et les comportements alimentaires ou le statut pondéral (Casey et al., 2012 ; Drewnowski et al., 2014 ; Caillavet et al., 2015). De plus, ces études ne s’intéressent qu’à une partie du paysage alimentaire et des points d’approvisionnement qui le composent : les supermarchés, les épiceries et les boulangeries. Elles n’étudient pas d’autres types de lieux d’approvisionnement tels que les primeurs, les autres commerces spécialisés, les marchés de plein vent, le e-commerce et les circuits courts, malgré leur fréquentation croissante par les consommateurs.
Enfin, le paysage alimentaire n’est étudié qu’autour du domicile, alors qu’il s’étend bien au-delà. Quelles sont les caractéristiques des paysages alimentaires dans lesquels vivent les individus ? Quelles sont leurs pratiques d’achats alimentaires ? Ont-ils facilement accès à des commerces alimentaires dans leurs espaces de vie quotidienne ? Quels lieux d’achats alimentaires fréquentent-ils et comment les combinent-ils ?
Pour répondre à ces différentes questions, l’étude Mont’Panier analyse les liens entre les paysages alimentaires du Grand Montpellier et les comportements d’approvisionnement alimentaire de ses habitants. Dans un premier temps, cette étude caractérise le paysage alimentaire et les pratiques d’approvisionnement alimentaire avant d’analyser, dans un deuxième temps, les relations entre les deux. L’étude s’intéresse à différents commerces alimentaires : les hypermarchés et supermarchés, les épiceries et supérettes, les marchés, les boulangeries, les primeurs et les autres magasins spécialisés (boucheries, poissonneries, crèmeries). L’accès physique à ces lieux d’achats est étudié sous l’angle de leur proximité au domicile et, plus largement, à l’espace de vie quotidienne.
Que ce soit sur la base de la cartographie du paysage alimentaire ou de la perception qu’en ont les habitants, les résultats suggèrent que la plupart des ménages n’ont pas de problème d’accès physique majeur aux différents types de commerces alimentaires. Environ la moitié des ménages enquêtés habite à moins de 500 mètres à pied d’une supérette, épicerie et autres commerces spécialisés, les deux-tiers d’une boulangerie et un tiers d’un primeur. Si on prend aussi en compte les principaux lieux d’activités des ménages et les trajets qu’ils effectuent entre ces lieux, une large majorité a accès dans cet espace de vie quotidienne à un hypermarché, un supermarché, une supérette, une épicerie, un primeur, une boulangerie ou un autre commerce spécialisé. Ainsi, les déplacements quotidiens effectués par les ménages peuvent compenser l’absence de commerces à proximité de leur domicile en leur donnant accès à des lieux d’achats alimentaires assez diversifiés. L’accès à un marché reste plus contraint par rapport aux autres commerces, que ce soit autour du domicile ou dans les espaces de vie quotidienne des ménages.
Les données objectives (Figure 1) sur la distance aux commerces sont cohérentes avec les façons dont les ménages perçoivent leur proximité avec ces commerces. Les ménages ont bien conscience du paysage alimentaire dans lequel ils vivent et des commerces alimentaires qui les entourent, puisqu’environ 80 % des personnes enquêtées déclarent avoir, près de chez elles ou des lieux qu’elles fréquentent régulièrement, un commerce alimentaire (hypermarché, supermarché, épicerie, supérette, primeur ou autre commerce spécialisé). La plupart d’entre elles sont d’ailleurs très satisfaites (30 %) ou assez satisfaites (54 %) des commerces alimentaires à leur disposition (contre 3 % pas du tout satisfaites et 12 % peu satisfaites). Parmi les améliorations proposées aux enquêtés, leurs principaux souhaits sont d’avoir plus facilement accès à un marché (32 % le souhaitent), à des aliments moins chers (31 %), à des espaces de jardinage (25 %) et à plus de commerces dits « de proximité » (21 %).
La proximité n’est pas le seul facteur qui influence la fréquentation des commerces alimentaires. Tous les ménages n’utilisent pas les commerces situés près de chez eux ou des lieux d’activités qu’ils fréquentent régulièrement. La fréquentation des commerces perçus comme accessibles par les ménages varie selon le type de magasins (Figure 2). Cette fréquentation est plus forte pour les hypermarchés et les super-marchés, suivis des primeurs, des marchés et des commerces bio. En revanche, moins d’un tiers des ménages a recours aux épiceries et aux commerces spécialisés auxquels ils déclarent avoir accès.
Plusieurs raisons expliquent ce phénomène. Pour les commerces bio et les commerces regroupés ici sous le terme « de proximité » (épiceries, supérettes, primeurs et autres commerces spécialisés), la principale raison de non-fréquentation citée par les ménages est que les produits ou les prix ne leur correspondent pas. Pour les supermarchés, au-delà des produits qui ne conviennent pas toujours, certaines personnes disent ne pas aimer ce mode de distribution. Pour les marchés, les principales raisons de non-fréquentation sont les horaires d’ouverture restreints et un manque de temps des ménages pour s’y rendre. Ainsi, si l’on veut favoriser la fréquentation des commerces situés à proximité, il faut être attentif aux prix, aux horaires d’ouverture et aux types de produits proposés par les magasins. D’autres enquêtes conduites dans le projet Surfood-Foodscapes ont également montré l’importance de facteurs tels que l’ambiance ou l’accessibilité par différents modes de transport.
L’analyse des achats réels effectués par les 408 ménages montre que les super et hypermarchés sont fréquentés au moins une fois par mois par 98 % des ménages, devant les épiceries et supérettes (47 % des ménages) et les boulangeries (41 %). Les trois-quarts des ménages réalisent plus de 70 % de leurs dépenses alimentaires dans des magasins multi-rayons (hyper et supermarchés, épiceries et supérettes, magasins de surgelés). Seuls 8 % dépensent plus de la moitié de leur budget alimentaire dans des points de vente spécialisés (primeurs, boulangeries, boucheries, étals de marchés, producteurs, etc.).
Si les grandes surfaces (super et hypermarchés, hard discount, e-commerce) sont le lieu d’approvisionnement alimentaire dominant, y compris pour l’achat de fruits et légumes, les ménages fréquentent aussi d’autres types de commerces. Ces sources d’approvisionnement complémentaires ont un poids variable dans le budget alimentaire. Trois grandes catégories de ménages se dessinent (Figure 3) :
– environ la moitié des ménages a recours très massivement à la grande distribution et combine marginalement avec d’autres commerces alimentaires ;
– environ un tiers combine à part égale la grande distribution avec d’autres types de magasins ;
– 16 % ont recours très massivement aux autres commerces et s’approvisionnent marginalement dans la grande distribution.
Malgré la bonne couverture médiatique dont ils font l’objet, les circuits dits « alternatifs » à la grande distribution et à l’agriculture « conventionnelle », c’est-à-dire l’achat direct ou sur Internet aux producteurs et les magasins spécialisés dans le bio, ne représentent qu’une part limitée des dépenses alimentaires. Seules 17 % des personnes interrogées y dépensent plus de 20 % de leur budget alimentaire et 29 % si on y ajoute les achats sur les marchés et dans les halles.
L’étude montre que les habitants du Grand Montpellier sont globalement satisfaits de leur paysage alimentaire. La distance géographique – et donc l’accès physique aux commerces alimentaires – n’est pas un problème pour la plupart des ménages. Les déplacements quotidiens donnent accès à des lieux d’achats alimentaires assez diversifiés, excepté pour les marchés. Même en considérant les espaces de vie quotidienne des ménages et pas seulement la proximité au domicile, l’accès physique aux marchés est plus contraint que pour d’autres commerces, ce qui ne facilite pas leur fréquentation. Leurs horaires d’ouverture restreints apparaissent aussi comme une contrainte pour les ménages enquêtés. Pour répondre à ces limites, les municipalités pourraient créer de nouveaux marchés, répartis de façon équilibrée dans la ville et avec des horaires d’ouverture élargis ou plus diversifiés. La localisation des commerces alimentaires et leur accessibilité physique sont des éléments importants du paysage alimentaire à prendre en compte dans l’aménagement urbain, et ceci est confirmé par d’autres résultats du projet (cf. So What ? « Cartographier les inégalités d’accès aux commerces alimentaires dans le Grand Montpellier »). D’autres facteurs tels que les produits, prix et horaires d’ouverture proposés par les différents types de magasins apparaissent également importants pour favoriser des pratiques d’approvisionnement plus durables. Suite à cette première phase de caractérisation, la prochaine étape de l’étude Mont’Panier consistera à analyser les relations entre le paysage alimentaire et la durabilité des pratiques d’approvisionnement des ménages.
Mont’Panier est une étude du projet Surfood-Foodscapes. Son objectif est d’évaluer les relations entre les paysages alimentaires et les comportements alimentaires dans le Grand Montpellier. Une enquête en ligne a été conduite entre 2018 et 2019 auprès de 710 ménages volontaires sur leurs pratiques d’approvisionnement alimentaire et la perception de leur paysage alimentaire. Parmi ces enquêtés, 408 ménages ont également collecté leurs tickets de caisse d’achats alimentaires et rempli un carnet recensant les approvisionnements alimentaires réels de leur foyer pendant un mois (aliments achetés, dons et récoltes, dépenses, lieux d’achat, trajets et modes de transport utilisés). Pour participer, il fallait être majeur, habiter Montpellier ou une des 42 communes avoisinantes et s’occuper, au moins en partie, des approvisionnements alimentaires du foyer. L’enquête est basée sur des quotas sociodémographiques : les enquêtés ont été recrutés pour refléter au mieux la composition de la population locale en matière de tranches d’âge (47 % ont plus de 50 ans, après redressement pour que l’échantillon soit représentatif), de structure du foyer (44 % de ménages avec un adulte sans enfant) et de revenus (23 % ont un revenu individuel inférieur à 1 110 euros par mois). La part des dépenses moyennes des ménages (n = 408) est de 30 % pour les fruits, légumes, légumineuses et oléagineux, de 21 % pour les viandes, œufs, poissons et assimilés, de 14 % pour les produits céréaliers, de 13 % pour les produits laitiers et assimilés, de 12 % pour l’eau et autres boissons et de 5 % pour les produits sucrés. En parallèle des données d’approvisionnement, tous les commerces alimentaires se trouvant dans le périmètre d’étude ont été cartographiés afin de connaître le paysage alimentaire réel. Autrement dit, celui auquel les enquêtés sont exposés dans leurs mobilités quotidiennes et qui inclut le nombre et le type de commerces alimentaires, leur localisation et leur distance par rapport au domicile et aux lieux d’activité des enquêtés.
– Daisy Recchia, doctorante en nutrition publique, Inrae, UMR MoISA, Montpellier, France
– Caroline Méjean, directrice de recherche en nutrition publique, Inrae, UMR MoISA, Montpellier, France
– Marlène Perignon, ingénieure de recherche en nutrition publique, Inrae, UMR MoISA, Montpellier, France
– Pascaline Rollet, biostatisticienne, Inrae, UMR MoISA, Montpellier, France
– Nicolas Bricas, chercheur socio-économiste, Cirad, UMR MoISA, Montpellier, France
– Simon Vonthron, doctorant en géographie, Inrae, UMR Innovation, Montpellier, France
– Coline Perrin, chercheuse en géographie, Inrae, UMR Innovation, Montpellier, France
– Géraldine Chaboud, chargée de mission, Chaire Unesco Alimentations du monde, Montpellier, France
Le projet Surfood-Foodscapes analyse les effets des paysages alimentaires urbains (commerces alimentaires, marchés, jardins, etc.) sur les styles alimentaires des individus (consommations, pratiques et représentations) dans le Grand Montpellier. Il est financé et soutenu par Agropolis Fondation (Labex Agro : ANR-10-LABX-001-01, projet n° 1603-004), le Cirad, l’Institut Agro de Montpellier, l’Inrae, Montpellier Méditerranée Métropole et la Région Occitanie/Pyrénées-Méditerranée.
Plus d’information sur www.foodscapes.fr/
Caillavet, F., Kyureghian, G., Nayga Jr R. M., Ferrant, C., & Chauvin, P. (2015). Does healthy food access matter in a French urban setting ? American Journal of Agricultural Economics, 97(5), 1400-1416.
Casey, R., Chaix, B., Weber, C., Schweitzer, B., Charreire, H., Salze, P., Badariotti, D., Banos, A., Oppert, J.-M., & Simon, C., (2012). Spatial accessibility to physical activity facilities and to food outlets and overweight in French youth. International Journal of Obesity, 36, 914–919.
Drewnowski, A., Moudon, A. V., Jiao, J., Aggarwal, A., Charreire, H., & Chaix, B. (2014). Food environment and socioeconomic status influence obesity rates in Seattle and in Paris. International journal of obesity, 38(2), 306-314.
Sacks, G., Robinson, E., & Cameron, A.J. (2019). Issues in Measuring the Healthiness of Food Environments and Interpreting Relationships with Diet, Obesity and Related Health Outcomes. Current Obesity Report, 8, 98-111.
Vonthron S., Perrin C., & Soulard C.T., (2020). Foodscape : A Scoping Review and a Research Agenda for Food Security-Related Studies. PLOS ONE, 15(5).