Accueil > Ressources > Opinions > Les porteurs d’espoir du Pacte de Milan

 

Les porteurs d’espoir du Pacte de Milan

Par Nicolas Bricas et Damien Conaré

Octobre 2025

Le mois dernier se tenait à Milan le Global Forum réunissant 130 des 330 villes du monde qui ont signé le Pacte de Milan pour des politiques alimentaires, représentant 520 millions de citoyen·ne·s. Cette rencontre était l’occasion d’en fêter le 10e anniversaire, avec plus de 500 participant·e·s engagé·e·s dans leurs territoires urbains. Ces dernier·e·s mènent des actions concrètes et inspirantes visant à mieux se relier à l’agriculture qui nourrit les villes ; à construire des infrastructures et une logistique pour garantir un meilleur environnement aux vendeurs et vendeuses de produits sains et durables ; à permettre un accès pour toutes et tous à une alimentation de qualité, notamment par la restauration collective ; à faciliter une économie circulaire ; à construire des gouvernances démocratiques pour piloter leurs politiques ; etc. Les différentes interventions présentées lors de cette édition, ainsi que les prix décernés (les « Milan Pact Awards ») ont montré des chemins pour transformer les systèmes alimentaires urbains et les rendre plus durables, à rebours de la tendance à poursuivre les modèles dominants de production, transformation, distribution, consommation et gestion des déchets, qui font tant de dégâts environnementaux, sanitaires et sociaux. Un moment d’inspiration et d’optimisme qui contrastait avec l’ambiance internationale.

En introduction, Jane Battersby de l’African Centre for Cities à l’Université du Cap, coordinatrice du rapport du Groupe d’experts de haut niveau sur la sécurité alimentaire et la nutrition (HLPE-FSN) sur « Le renforcement des systèmes alimentaires urbains et péri-urbains », a rappelé que les trois quarts de l’insécurité alimentaire mondiale est désormais urbaine et péri-urbaine. Cette insécurité est autant quantitative que qualitative, avec d’importants risques liés à la salubrité des aliments et leur mauvaise qualité nutritionnelle. L’enjeu est d’abord celui de la pauvreté et donc de la création d’emplois rémunérateurs dans des villes à croissance rapide. Pour relever ce défi, il a été souligné que les modèles de développement des systèmes alimentaires doivent considérer l’intensité en main-d’œuvre et les conditions de travail. De nombreuses villes sont ainsi venues témoigner de leurs politiques en ce sens, s’appuyant sur l’économie informelle urbaine, les ressources de leurs territoires et la co-production d’initiatives avec différentes parties-prenantes. Autant d’alternatives au modèle contemporain, qui prend souvent la forme de grandes industries agroalimentaires, de chaînes de supermarchés et d’aliments à calories vides mais peu coûteuses.

Certaines villes du projet AfriFOODlinks ont été reconnues et récompensées pour les initiatives qu’elles portent dans ce cadre : Ouagadougou pour l’amélioration des infrastructures de marchés alimentaires et Mbale (Ouganda) pour son nouvel abattoir et la mise en place d’une gouvernance multi-acteurs de sa politique alimentaire. Le Cirad, au travers de l’UMR Moisa et de la Chaire Unesco Alimentations du monde, accompagne les expérimentations dans ces villes, de même que dans le Département de Rufisque au Sénégal, qui a été mis à l’honneur pour sa politique innovante de restauration scolaire. Deux élus des villes palestiniennes de Cisjordanie - Bethléem et Jéricho - ont aussi expliqué leurs combats sous des ovations marquées : des moments forts du Forum.

Mais il reste du chemin pour prouver que (toutes) les villes disposent d’un pouvoir transformateur sur leurs systèmes alimentaires, car nombre de responsables politiques n’en ont pas pris la mesure. La question alimentaire est encore souvent réduite à celle de la production agricole. À cet égard, Carlo Petrini, fondateur du mouvement Slow Food, a rappelé que l’alimentation n’est pas une simple marchandise, mais constitue un droit humain fondamental et un instrument de la paix. Le gouverneur de Bangkok Chadchart Sittipunt, conscient de la montée de l’insécurité alimentaire dans la mégapole, se donne pour mission de bâtir une « ville de partage » (share city), plutôt qu’une « ville intelligente » (smart city). Une perspective qui pourrait inspirer un agenda plus politique pour le Pacte de Milan, encore trop souvent réduit à un échange de bonnes pratiques et dont la Déclaration finale du Forum d’octobre 2025 est restée assez générale.

Que vive pour les dix prochaines années un Pacte ambitieux, celui des villes du partage !